Le rédacteur web est-il un écrivain ou un journaliste?
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Transmettre l’information ou raconter une histoire. Voilà le genre de dilemme qui saisit souvent le rédacteur web. Alors écrire pour le web, est-ce plutôt de l’art ou du journalisme?
Le rédacteur web est précoce
Premier boulot du rédacteur web, dégager sa thèse et la présenter clairement et rapidement. La mienne ici: le rédacteur web n’est pas un écrivain.
Notez que si cet article avait été strictement construit, cette thèse aurait même dû être présentée dès le chapô. Nous verrons pourquoi plus loin.
Donc, le rédacteur web fout le suspens en l’air, mais c’est son job. L’obsession qui trotte dans la tête de ce plumitif: satisfaire rapidement un besoin primitif.
Du lard ou du torchon?
Le rédacteur web écrit pour le web. Donc il écrit pour informer.
Il rassemble des sources, sélectionne des occurrences, les trie, choisit un angle et structure son article. A ceux qui auraient survolé le premier paragraphe, le vocabulaire vous remet sur la piste…
Dans un article web, l’information principale est répétée dans les paragraphes à mesure qu’elle est développée. Par conséquent, l’exposé ne correspond pas à un développement scientifique – celui que l’on a appris à l’école dans lequel les causes précèdent les conséquences. Non, il est conforme aux habitudes de lecture en ligne: le visiteur est volatile et versatile. Il faut satisfaire son besoin très vite si on veut espérer le garder. C’est pourquoi le rédacteur web doit informer rapidement ce lecteur qui survole, pour le transformer en fidèle qui lira toute sa page de A à Z.
Le rédacteur web structure son texte de manière très précise, en s’aidant de pense-bêtes comme les 5W (what, who, where, when, why) pour s’assurer qu’il a tout dit dans le bon ordre, celui de l’importance décroissante.
Couper à travers champs ou prendre la clé des champs
A l’inverse, l’écrivain prend souvent son temps. Il passe par les chemins détournés qui lui plaisent. Il cache son jeu et joue au chat et à la souris.
Il ne transmet pas une information , il transmet des émotions.
Le rédacteur web a plus de contraintes. Là où l’écrivain part d’une page blanche, lui doit respecter des formats établis. On parle de chemins de fer, de gabarits éditoriaux, etc. Il n’y a qu’à comparer la mise en page. Tous les éléments qui composent le corps d’une page web viennent du journalisme. Ouvrez votre journal préféré et faites le test avec n’importe quel article. Ca marche même avec la presse sportive!
Et avec le SEO, la structuration est peut-être encore plus codifiée:
- 70 signes max pour le titre
- 156 caractères pour le chapô
- et pour une longueur d’article classique et facilement assimilable: 1 à 2 feuillets
Un pour tous, tous contraints?
Le rédacteur web a-t-il trop de contraintes pour pouvoir s’exprimer? On pourrait d’ores et déjà dire que Georges Pérec et ses amis de l’Oulipo ne partageraient pas du tout ce point de vue. Ainsi, peut-être accueilleraient-ils le rédacteur web parmi les écrivains…
Dans cette présentation jusque-là si manichéenne, on a bien envie de poser quelques questions qui froissent:
- N’y a-t-il donc aucune place pour le style sur le web?
- La neutralité est elle le meilleur véhicule de l’information?
- Ne faut il écrire que des articles qui respectent strictement les recommandations SEO, quitte à prendre le risque qu’ils soient stéréotypés?
On fréquente tous des blogs qui ont bâti leur réputation sur des titres tordants, du 8e degré et des démonstrations en 12 paragraphes.
Certains billets brillent par l’élégance de leur texte et l’inspiration de l’auteur, et c’est beaucoup plus selon ces critères qu’ils sont lus que pour l’information brute qu’ils transmettent.
Le rédacteur web n’est pas un écrivain. Qu’il l’accepte ou non, et c’est mieux s’il l’accepte, son travail ne relève pas de l’art.
Mais il est vrai qu’au final c’est le nombre de vues, le nombres de clics sur votre bouton de bas de page, ou encore le nombre et la qualité des commentaires qui sont souvent nos juges de paie…
En parlant de commentaires, chers collègues rédacteurs web, n’hésitez pas à utiliser ceux de cet article pour me dire dans quelle case vous vous rangez. Et m’en proposer d’autres.
Commentaires
Romain,
Pour commencer, je vous souhaite une excellente année 2014 🙂
Je me demande d’où vous vient ce besoin de ranger les talents dans des cases ? Est-il indispensable de faire la distinction entre écrivain et rédacteur web, à fortiori sur un média encore si jeune qu’il reste tant à inventer ?
Je vous le demande : un poète est-il un écrivain ? Un romancier est-il un écrivain ? Un blogueur est-il un journaliste ? Un rédacteur web ne doit-il jamais raconter de belles histoires ? Un journaliste ne peut-il se permettre un style littéraire pour accrocher son lecteur ? (Ici, lire l’attaque de l’article snowfall du New York Times pour se convaincre du contraire : http://www.nytimes.com/projects/2012/snow-fall/)
Quand Sylvie Ohayon, (conceptrice rédactrice ET écrivaine), écrit « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre » pour Air France, ne met-elle pas un zest de poésie dans nos quotidiens si compartimentés ?
Quand Eric Dupin écrit des « titres à la cons » (,http://plumeinteractive.canalblog.com/archives/2008/11/10/11302445.html)sur son célébrissime blog Presse Citron, ne travaille-t-il pas ce style inimitable qui fait sa marque ?
Je pense qu’au contraire, dans un contexte où tout le monde se met à la stratégie de contenu, les rédacteurs web se doivent d’avoir du style, de l’originalité.
Pour se distinguer, les sites web doivent proposer une véritable ligne éditoriale, du peps et du style, en plus d’offrir des contenus écrits (posts, billets, articles, fiches produits, newsletters, guides d’achats, guides pédagogiques, présentation, accroches réseaux sociaux, slide share, iconographies, dans quelles cases les ranger ?) intéressants, bien écrits, bien sourcés, et bien structurés…
Un sacré job en fait, qui s’écrit avec le cœur, comme vous le savez 🙂
Bonne année à tous les deux, Eve et Yann !
Je suis content que mon article déclenche des réactions, et pas mal de questions en ce qui concerne Eve.
C’était un peu le but des 2 dernières phrases, et c’est mon premier élément de réponse: je pense que vous avez compris à la tournure que c’est plutôt du second degré quand je vous demande où vous vous rangez…
Quant au reste, ça me permet simplement de donner mon point de vue sur les deux grandes professions dont peut se réclamer le rédacteur web, s’il fait attention de ne pas se prendre pour ce qu’il n’est pas. Et vous pouvez être rassurés sur l’importance que j’accorde au style et à la création en jetant un oeil aux sous-titres: on ne peut pas dire que j’ai fait le choix de l’optimisation.
Bref j’ai bien l’impression que nous sommes d’accord. Sur ce, je rentre à ma case !
Encore bonne année,
Romain.
Bien d’accord avec Eve, ce qui n’enlève en rien la démonstration de rentabilité/efficacité (les contraintes) de votre article.
N’oublions pas non plus le blogueur ! Ni rédacteur web à la base, ni écrivain, il écrit avec son style propre. Et les blogueurs les plus populaires ont souvent cette plume qui les classe à part et contribue à leur succès.
Bonne Année itou 🙂
@ Romain,
Votre article provoque la réflexion et la discussion, merci 🙂
Si distinction il y a, il me semble que c’est plutôt entre écrivain et rédacteur (mais sans parler de media). Un écrivain utilise le langage comme une matière première pour exprimer sa vision du monde, pour construire une œuvre créative originale qu’il cherche à partager avec un lecteur. L’écrivain, le poète, le romancier, le dramaturge sont libres de penser, ils n’écrivent pour le compte de personne.
Le rédacteur rédige pour le compte d’un tiers qui le paye pour exprimer ses idées, communiquer, etc.
Quant au journaliste, il rédige pour le compte d’un journal qui le paye, donc c’est une sorte de rédacteur. Mais comme l’écrivain, il se doit d’avoir un esprit indépendant, libre (la fameuse liberté de la presse). Il signe ses papiers, contrairement au rédacteur. Là où le journaliste colle à la réalité, à l’actualité, l’écrivain n’a pas d’obligation de réalisme. Le journaliste poursuit une mission d’information vitale pour la société, avec une éthique solide.
Donc finalement, ce qui distingue ces différentes professions, ce n’est pas le style (littéraire, technique, SEO, etc.) mais bien la mission qu’ils poursuivent, leur liberté de parole et le rapport qu’ils entretiennent avec leur commanditaire (ou pas).
Romain,
cet article est intéressant et il ne faut pas perdre de vue que les images ne font pas tout et que le texte sera toujours le premier vecteur d’image de l’entreprise ou du produit. De plus, je ne rangerai pas dans la même catégorie les blogs et les textes de sites « vitrine » ou de vente parce qu’ils ne remplissent pas les mêmes fonctions 😉
Quant au fait que certains s’affirment journalistes, c’est encore une autre paire de manche(tte)s !
Bonne soirée,
Mathieu